Les organismes complémentaires et la proposition de loi 296

1. Introduction

Voilà un petit résumé concernant le fonctionnement des organismes complémentaires de l’Assurance Maladie en France : création, droits et devoirs, finances… L’objectif étant de vous fournir un maximum d’informations pour comprendre au mieux les tenants et aboutissants des revendications actuelles.

2. Généralités

Comme son nom l’indique, la complémentaire Santé a pour but de compléter les prestations versées par la Sécurité Sociale en matière de dépenses de Santé. Vous les retrouvez dans l’ensemble des prestations couvertes en partie par la Sécurité Sociale : consultations de médecins, analyses médicales, hospitalisation, maternité, frais optiques, frais dentaires, appareillages, médicaments prescrits et prévention.

La complémentaire Santé prend donc en charge le « ticket modérateur » : différence entre le tarif fixé par la convention et pris en charge par la Sécurité Sociale, et la participation forfaitaire (de 1 € pour une consultation).

Si le taux de remboursement d’un acte est prévu par la Sécurité Sociale à 70 %, le taux de prise en charge par la complémentaire est de 30 % (participation forfaitaire mise à part).

On parle alors du taux de remboursement de la complémentaire Santé (en fonction de celui de la Sécurité Sociale). Pour l’optique et le dentaire, la prise en charge par la Sécurité Sociale est tellement faible qu’on ne parle pas de taux de remboursement mais de forfait (en exemple, un forfait lunette à 100 €/an).

2.1. Quelques chiffres

Nombreux sont ceux qui évoquent un désengagement progressif de l’Etat dans la Santé en France. Qu’en est-il réellement ? Les chiffres suivant sont tirés d’une étude de l’IRDES (d’après les données de l’INSEE).

Financement de l’ensemble des dépenses de soins et biens médicaux en France :

  • 1950 : la Sécurité Sociale prend en charge 50 % des dépenses, 32 % pour les ménages, 11 % par l’Etat (sur des aides diverses, comme l’ACS et la CMU-C aujourd’hui), 6-7 % pour les mutuelles.
  • 2008 : la Sécurité Sociale prend en charge 76 % des dépenses, 14 % pour les ménages, 8 % pour les complémentaires, et 1 % pour l’Etat.
  • En 2011 :
    • Concernant les soins hospitaliers, 90 % du prix est pris en charge par la Sécurité Sociale. Les deux tiers du prix restant sont à la charge du patient, et un tiers à celle des organismes complémentaires (1 % par l’Etat) ;
    • Concernant les soins ambulatoires, 60 % du prix est pris en charge par la Sécurité Sociale, 23 % par les complémentaires et 16 % reste à la charge du patient (1 % par l’Etat) ;
    • Concernant les biens médicaux, 60 % du prix est pris en charge par la Sécurité Sociale, 20 % par les organismes complémentaires, 19 % restent à la charge du patient (1 % par l’Etat)

Les dépassements d’honoraires en 2010 représentent 2,4 milliards d’euros dont 800 millions ont été pris en charge par les organismes complémentaires.

2.2. Types d’organismes

Il existe trois types d’organismes complémentaires :

  • Les mutuelles (59 % de parts de marché) : Organismes à but non lucratif, elles n’ont pas d’actionnaires. Elles sont soumises au Code de la Mutualité.
  • Les assurances privées (24 % de parts de marché) : Organismes lucratifs, elles sont soumises au Code des Assurances.
  • Les instituts de prévoyance (17 % de parts de marché) : Ils ne s’occupent que des contrats collectifs, sont créés et gérés par les partenaires sociaux (syndicats professionnels) et leurs Conseils d’Administration sont composés de représentants des salariés et des entreprises. Ils sont soumis au Code de la Sécurité Sociale.

2.3. Types de contrat des organismes

Il existe deux types de contrats :

  • Les contrats individuels : le tarif est fonction des garanties demandées par le souscripteur qui paye intégralement sa cotisation.
  • Les contrats collectifs : il s’agit de la complémentaire Santé de l’entreprise de l’assuré. Le tarif est encore fonction des garanties choisies, mais aussi de la classification du salarié (carde, non-cadre). L’employeur prend en charge 50 % des cotisations. Elles sont assorties d’exonérations sociales pour l’employeur, et d’exonérations fiscales pour le salarié.

2.4. Les contrats « responsables »

Les différents organismes complémentaires ne peuvent pas fixer leurs tarifs librement. Le contrat responsable (plus de 90 % des contrats actuels) répond à certaines règles. Dans le cadre du parcours de soins, ces contrats doivent rembourser :

  • Au moins 30 % du tarif opposable pour les consultations du médecin traitant et du médecin correspondant. Donc, lors d’un parcours de soins en secteur 1, le patient sera toujours remboursé à 100 % (hors participation forfaitaire) ;
  • Au moins 30 % des médicaments à vignette blanche (remboursés à 65 % par l’Assurance Maladie obligatoire) ;
  • Au moins 35 % du tarif servant de base aux remboursements de l’Assurance Maladie obligatoire pour les analyses et actes de laboratoire. En dehors du parcours de soins, ces contrats ont interdiction de rembourser :
  • La partie correspondant à la baisse du remboursement de l’Assurance Maladie obligatoire pour non-respect du parcours de soins, soit une majoration de 20 % du ticket modérateur dans la limite de 5 € par acte pour ceux supérieurs à 25 € ;
  • Un forfait plafonné à 8 € sur les dépassements d’honoraires sur les actes cliniques et techniques des spécialistes consultés.

Ces contrats ne prennent pas non plus en charge la franchise médicale mise en place au 1er janvier 2008 : 0,5 € par boîte de médicaments, 0,5 € par acte paramédical, 2 € par recours au transport sanitaire (sauf transports d’urgence).

3. Des exemples de tarifs d’assurances

Ces chiffres correspondent à des devis faits pour un homme de 27 ans, travailleur indépendant.

Assurance 1

301 € / an

Assurance 1

661 € / an

Assurance 2

288 € / an

Assurance 2

1536 € / an

Consultations et visites

100 %

150 %

100 % (1)

400 % (1)(2)

Actes (techniques, imagerie…)

100 %

150 %

150 %

400 %

Transports

100 %

100 %

100 %

300 %

Pharmacie (vignette blanche et bleue)

100 %

100 %

100 %

100 %

(+ 100 €/an sur NR)

Prothèse dentaire et orthodontie

100 €/an

300 €/an

0

500 €/an prothèse

1450 €/an orthodontie

Optique 

Base : 50 €/an

Verres progressifs :

25 €/an

Base : 300 €/an

Verres progressifs : 100 €/an

0

410 €/an

(1) dont homéopathie, acupuncture et phytothérapie
(2) plus 52 € pour diététicien, ostéopathe, chiropracteur, jusqu’à 5 fois/an
NR : Non Remboursé

On observe donc que la médecine à 2 vitesses existe déjà, elle concerne prioritairement 3 domaines :

  • L’optique et les prothèses dentaires ;
  • La prise en charge des dépassements d’honoraires ;
  • La prise en charge des soins non soumis à remboursement de la Sécurité Sociale

4. Les réseaux de soins et la proposition de loi 296

La possibilité de créer des réseaux de soins existe depuis de nombreuses années pour les assurances privées. En exemple, voilà un texte tiré d’un site internet d’une assurance connue :

« Pas d’avance non plus sur vos dépenses en optique, dentaire ou audioprothèse dans le réseau de notre partenaire… »

« Vous faites des économies sur vos frais optiques, dentaires, d’audioprothèses et sur vos consultations diététiques auprès des 5100 professionnels de santé du réseau de notre partenaire … »

La proposition de loi n° 296

« Les mutuelles ou unions peuvent toutefois instaurer des différences dans le niveau des prestations lorsque l’assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé membre d’un réseau de soins ou avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu un contrat comportant des obligations en matière d’offre de soins. »

On voit donc clairement dans cette proposition une possibilité pour les mutuelles de réaliser les mêmes réseaux de soins que les assurances privées. Si, d’apparence, ces réseaux de soins permettent notamment de faire baisser le prix de l’optique, des prothèses dentaires et audioprothèses, n’y aurait-il pas un risque d’élargissement de ces réseaux aux médecins et donc une atteinte à la liberté de choix de son médecin par le patient ? Nous avons posé toutes ces questions directement au gouvernement (les réponses sont dans le paragraphe suivant).

Il est important de préciser que ces réseaux de soins sont déjà instaurés par la plupart des mutuelles de façon illégales, et par beaucoup d’assurances privées de façon légale. D’ailleurs, vous avez peut-être déjà eu l’occasion d’aller chez un dentiste ou un opticien mutualiste.

5. Nos questions et les réponses des économistes du gouvernement

5.1. Réponses des économistes

Ce n’est pas notre formation médicale qui nous apporte les connaissances nécessaires pour prendre du recul sur ces problématiques. Nous avons donc posé nos questions à des économistes de la santé ainsi qu’au gouvernement.

Les questions posées aux économistes étaient basiques :

  • Devons nous craindre une augmentation de l’implication des mutuelles dans la santé ?
  • Quelles seront les conséquences du développement des réseaux de soins ?

Les réponses des économistes divergent. Dans un premier temps, il y a ceux qui craignent que « l’on aille vers une implication de plus en plus grande des complémentaires dans le financement de la Santé » et donc qu’à « un moment ou à un autre cette participation aura comme contrepartie une association plus étroite à la gouvernance du système ». Cet économiste continue en disant : « Cela me parait difficilement évitable dans les années à venir ». En conclusion « il faudra en effet veiller à ce que les conditions qu’elles imposeront aux médecins adhérents soit médicalement et éthiquement acceptables. C’est je crois un enjeu important».

En contrepartie, d’autres sont en accord avec le développement de réseaux de soins, assurant que c’est un moyen de garantir un suivi de qualité et une coordination des soins par le médecin. Derrière le discours de cet économiste, il y avait des idées très critiques de la lourdeur administrative de l’Etat, vue comme un frein à une adaptation de l’économie de la santé aux besoins actuels. Il pense que les réseaux doivent être gérés par les mutuelles (non lucratives, NDLR) et les associations. Il est cependant indispensable de garantir le double volontariat du médecin et du patient.

Dans tous les cas, les réponses apportées par les économistes ne se sont pas cantonnées aux réseaux de soins concernant l’optique et les soins dentaires. Alors que d’après le gouvernement (cf ci-dessous) ce sont bien ces deux offres de soins qui sont visées par la proposition de loi 296.

5.2. Réponses du Gouvernement

Vous trouverez ci-dessous un copier-coller de l’échange que nous avons pu avoir directement avec le Ministère de la Santé. Ce texte a été validé par le Directeur de Cabinet de Madame TOURAINE. Nous n’avons pas modifié la moindre phrase, ni le moindre mot et toutes les questions posées sont retranscrites.

« Les organismes complémentaires ont mis en place, depuis une trentaine d’années, des contractualisations avec divers professionnels de santé. Il s’agissait historiquement de conventions de tiers payant, notamment avec les pharmaciens d’officine. Depuis lors, nombre de complémentaires ont contractualisé avec des opticiens et chirurgiens dentistes sur le tarif de prestations d’optique et de prothèses dentaires.

Certaines complémentaires ont mis en place des niveaux de garanties différentes pour leurs adhérents, selon que l’adhérent s’adresse ou non à un professionnel qui a contractualisé. En ce cas, l’adhérent est mieux remboursé par son organisme complémentaire pour ses frais d’optique et/ou de prothèses dentaires s’il va voir un opticien ou un dentiste qui a contractualisé avec l’organisme. Le professionnel s’engage sur un niveau de tarif facturé à l’assuré, la complémentaire s’engage sur un niveau de remboursement à l’adhérent.

Contrairement aux assureurs régis par le code des assurances et aux institutions de prévoyance, les pratiques tarifaires des mutuelles sont encadrées depuis le nouveau code de la Mutualité de 2001 par une disposition spécifique. Les « principes mutualistes » interdisent ainsi l’utilisation de questionnaires médicaux, et listent de façon limitative les critères qui permettent de moduler les cotisations des mutuelles. Le recours à un professionnel du réseau ne fait pas partie de ces critères, et cela a conduit la Cour de Cassation à condamner les mutuelles qui avaient mis en place ce type de dispositif.

La PPL 296 vise à lever cette différence de législation entre mutuelles et autres complémentaires santé.

  • Qui contractualiserait avec les mutuelles ? Les patients ? Les médecins ?

Concrètement, ce type de réseau repose sur une convention passée entre le professionnel de santé et la complémentaire santé. Ce type de conventions concerne dans la plupart des cas les opticiens et les chirurgiens dentistes, pour lesquels la part des soins prise en charge par l’assurance maladie est limitée.

Concernant les médecins, le montant des tarifs pratiqués et remboursé relève d’une part du code de la Sécurité Sociale, d’autre part du cadre conventionnel, sous le contrôle du ministre. Il n’est pas du tout envisagé que les tarifs pratiqués par les médecins (et a fortiori les modalités d’accès des patients aux médecins) échappent à ce cadre réglementaire strict et fassent l’objet de contractualisation entre les complémentaires et les médecins avec une différenciation du niveau de remboursement suivant le recours à un professionnel dans ou hors du réseau. Le projet de loi sera amendé pour bien préciser ce point.

Par ailleurs, le patient a une relation contractuelle avec sa complémentaire santé : celle-ci résulte de la souscription d’un contrat de complémentaire santé. Les réseaux ne donnent pas lieu à une contractualisation particulière entre les patients et les complémentaires.

  • Quelles seraient les modalités de cette contractualisation/conventionnement et les engagements qu’elle sous-tendrait ? Sont-elles fixées selon les desiderata de la mutuelle en question ?

Comme indiqué, le mécanisme de conventionnement qui existe aujourd’hui pour certaines professions de santé (dentaire, optique) ne sera pas applicable aux médecins libéraux dont les tarifs et les pratiques demeureront uniquement régies par les dispositions du Code de la Sécurité Sociale et de la convention médicale.

Concernant les professions concernées (optique et dentaire), les complémentaires réalisent un cahier des charges auquel peuvent adhérer les professionnels de santé.

Il est particulièrement important que ce type de contractualisation repose sur des modalités claires, transparentes, objectives et non discriminatoires, quel que soit l’organisme complémentaire. Le projet de loi sera amendé en ce sens.

  • Quelles sont les modifications de remboursement que nous allons observer lors de la création de ces réseaux de soins ? Quels sont les actes ou les prestations qui vont être concernés ?

Pour les professions concernées (optique et dentaire), les contrats de complémentaires santé souscrits par les patients auprès d’institutions de prévoyance ou de sociétés d’assurance prévoient d’ores et déjà de meilleurs niveaux de remboursement. Cette faculté sera officiellement autorisée pour les mutuelles.

Il n’y a naturellement aucun impact sur le montant remboursé par l’assurance maladie.

  • Un patient risque-t-il de ne plus pouvoir choisir son praticien librement et devoir s’orienter vers celui qui sera désigné par sa mutuelle sous peine de non remboursement ou d’un remboursement partiel ?

La liberté de choix du médecin par le patient restera pleinement assurée. L’amendement à la proposition de loi permettra de le garantir.

  • Risquons-nous de voir venir une médecine à deux vitesses avec des médecins conventionnés à une mutuelle, dont les patients sont remboursés, mais avec une liste d’attente interminable. Et des médecins dont les patients sont non remboursés, accessibles rapidement, mais seulement si nos finances nous le permettent ?

L’amendement à la proposition de loi interdira clairement ce type de situation.

  • Qu’adviendra-t-il du médecin refusant de se conventionner avec un réseau de soins ? Risque-t-il de voir disparaître sa patientèle par défaut de remboursement ? La conséquence sera-t-elle la perte de la liberté de choix du médecin par le patient ?

La prise en charge par l’assurance maladie et la liberté de choix du patient sont deux éléments fondamentaux de notre système de Santé qui ne seront en aucune manière remis en cause.

Par ailleurs les complémentaires Santé ne pourront pas rembourser différemment les patients des médecins selon qu’ils adhérent ou non à leur réseau.

  • Un médecin généraliste pourra-t-il adresser ses patients à un spécialiste ou un établissement de Santé sans avoir à prendre en compte la mutuelle de ces derniers ?

Compte tenu des précisions apportées dans les réponses aux questions précédentes, ce type de conventionnement sera sans impact sur la manière dont les médecins adressent leurs patients. Concernant l’hôpital, les tarifs des prestations de soins sont fixés au niveau national par voie réglementaire. Ils ne peuvent donc pas être concernés par ces réseaux de soins.

De même, le niveau de remboursement par l’Assurance Maladie des soins hospitaliers est fixé au niveau national par la loi et le règlement.

Il n’est pas question de toucher à ces principes fondamentaux. »

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Le gouvernement doit déposer lundi 19 novembre les amendements dont il fait part ci-dessus.

En espérant que ces informations vous permettront de mûrir votre réflexion sur l’implication des mutuelles dans le système de santé en France.

Pour le Bureau de l’ISNAR-IMG,

Emmanuel BAGOURD,
Président.