Pas de grève fourre-tout

Lyon, le 13 novembre 2012.

Réunie en Assemblée Générale Extraordinaire le 6 novembre 2012, l’ISNAR-IMG a pris la décision de ne pas soutenir la grève.

Pour être comprise, cette position nécessite des explications : c’est l’objet de ce courrier. Vous trouverez en pièces jointes les précédentes communications, notamment le résumé de l’avenant 8 à la Convention.

En préambule à toute réflexion, une petite présentation des nombreux acteurs de cette problématique. Pour simplifier la compréhension générale, vous nous permettrez cette dichotomie grossière séparant « pro » et « anti » grève. La liste ne pouvant être exhaustive, nous nous sommes cantonnés aux structures représentant plus de 500 adhérents.

Les « pro » grève :

Le BLOC : syndicat représentant les chirurgiens, anesthésistes et gynécologues obstétriciens (syndicat représentatif n’ayant pas signé l’avenant 8);
La FMF : la Fédération des Médecins de France, représente toutes les spécialités de médecins libéraux (syndicat représentatif n’ayant pas signé l’avenant 8);
L’ISNCCA : l’Inter-Syndicat National des Chefs de Clinique et Assistants des Hôpitaux;
L’ISNIH : l’Inter-Syndicat National des Internes des Hôpitaux. Représente les internes des autres spécialités que la Médecine Générale;
La FNSIP : Fédération Nationale des Syndicats d’Internes de Pharmacie;
Le SJBM : Syndicat des Jeunes Biologistes Médicaux;
Le SNJMG : Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes ;
Le SNORL : Le Syndicat National des ORL;
Les médecins pigeons : initialement groupe Facebook créé par des chirurgiens plasticiens s’opposant à la limitation des dépassements d’honoraires, ils sont désormais constitués en association, l’UFML (Union Française pour une Médecine Libre.

Les « anti » grève :

L’ANEMF : Association Nationale des Etudiants en Médecine de France;
La CSMF : Confédération Syndicale des Médecins de France (principal syndicat senior polycatégoriel);
L’ISNAR-IMG : Inter-Syndicale Nationale Autonome et Représentative des Internes de Médecine Générale;
MG France : Médecins Généraliste de France. Principal syndicat des médecins généralistes;
ReAGJIR : Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés, Remplaçants et Chefs de Clinique de Médecine Générale;
Le SMG : Syndicat des Médecins Généralistes (syndicat non représentatif donc non signataire de la convention médicale);
Le SML : Syndicat des Médecins Libéraux.

I- Les Revendications

 

A) Une multiplicité de revendications :

 

Les revendications des structures grévistes sont le plus souvent justifiées.

Mais avant d’expliquer en quoi elles ne légitiment pas une grève, faisons un petit tour de leur hétérogénéité.

L’ISNIH :

a) Communiqué de presse du 29 octobre 2012 :

La réaffirmation par le Législatif qu’aucune contrainte à l’installation ne sera décidée

b) Le 31 octobre 2012 :

Création de 500 postes de Chefs de Clinique Universitaires – Assistants des Hôpitaux étalée sur 5 ans à partir de la rentrée 2013.

c) Lettre ouverte du mercredi 7 novembre :

« Vous voyez ici se dessiner nos 3 revendications :
– Les conditions de travail et de formation des internes
– La signature de la Convention
– Garder un exercice libre et indépendant vis-à-vis des complémentaires santé.

La liberté d’installation, la rémunération juste pour tous, la critique, constructive, de l’avenant 8 et la rémunération des internes, seront aussi au cœur des discussions ! »

L’ISNCCA :

a) Communiqué de presse du 24 octobre 2012 :

Opposition à l’inscription du chiffre de « 150 % du tarif opposable » comme définissant un complément d’honoraires abusif

b) Communiqué de presse du 31 octobre 2012 :

Retrait des dispositions anti-jeunes contenues dans l’avenant n°8 et ouverture de négociations avec les jeunes médecins sur l’exercice libéral
Volonté d’être pleinement associé à la signature des futurs accords conventionnels

Le SNJMG :

Communiqué de Presse du 8 novembre 2012 :

– La réforme du statut de l’interne, notamment pour le rendre compatible avec les directives européennes (ex : directive 2003/88/CE du 4/11/2003) et les traités de l’organisation internationale du travail (OIT);
– L’amélioration de la filière universitaire de Médecine Générale (ex : résolution des cas de dysfonctionnements, révision du statut et de la rémunération des enseignants…);
– Une régulation incitative à l’installation avec un statut conventionnel revalorisé dans le cadre d’un système de santé solidaire;
– Le SNJMG partage la critique de différentes organisations de patients qui reprochent au gouvernement et à l’Assurance Maladie de valider un accord conventionnel qui pérennise une médecine à plusieurs vitesses par le maintien du secteur 2 avec dépassements d’honoraires.

En synthèse, les revendications des seules structures jeunes sont :

– Les conditions de travail et de formation des internes (ISNIH/SNJMG) et la revalorisation des émoluments des internes (ISNIH)
– L’augmentation du nombre de postes de CCU-AH (ISNIH)
– Etre signataire de la convention (ISNCCA/ISNIH)
– L’indépendance vis-à-vis des mutuelles (ISNIH)
– La liberté d’installation (ISNIH/SNJMG)
– La modification de l’avenant 8 (ISNCCA) : retrait des « mesures anti-jeunes » et du barème de 150% comme indice de dépassement excessif
– La modification de l’avenant 8 (SNJMG) : « pérennise une médecine à plusieurs vitesses par le maintien du secteur 2 avec dépassements d’honoraires »
– L’amélioration de la FUMG (SNJMG)

A cela, il faut ajouter les revendications des syndicats de médecins libéraux ayant refusé de signer la convention, essentiellement centrées sur l’avenant 8 et l’encadrement des dépassements d’honoraires.

B) Les revendications les unes après les autres

 

1 : Conditions de travail

Sujet de loin le plus fédérateur, l’amélioration des conditions de travail, et la lutte pour le respect des textes les encadrant, est une bataille quotidienne.

Une enquête est en cours auprès de vos structures locales pour connaître les terrains de stages ne respectant pas le repos de sécurité. Son objectif est avant tout une utilisation régionale pour définir les stages à pointer du doigt lors des différentes commissions d’agrément, d’évaluation des besoins et d’adéquation des postes.

A ce titre, nous avons débuté un état des lieux avec la DGOS (branche administrative du Ministère de la Santé) dès la fin du mois de juin. L’objectif est de pointer individuellement le nom des hôpitaux et des services ne respectant pas le repos de sécurité malgré les avertissement de la structure locale des internes de médecine générale, et de les faire connaître à la DGOS.

Lors d’une réunion avec le Ministère de la santé le 7 novembre, avec la Ministre de la Santé, son Directeur de Cabinet et nombre de ses Conseillers, nous avons obtenu la création d’un groupe de travail. Celui-ci doit se pencher sur les conditions de travail, de formation et le respect du statut des internes. Il s’ouvrira, si besoin, sur une modification du statut de l’interne et sera suivi d’une évaluation trimestrielle de l’application sur le terrain des évolutions engagées.

A noter qu’après la publication de l’enquête sur le respect du repos de sécurité de l’ISNIH, la Ministre a envoyé une circulaire à l’intention des directeurs hospitaliers. Il semblerait qu’aucune différence ne se soit faite ressentir.

2 : La Convention et l’avenant 8 : différences ISNIH/ISNCCA
a) Etre signataire des négociations conventionnelles

Pour rappel, les structures jeunes ont été officiellement membres observateurs des négociations conventionnelles pour la première fois cette année. L’année dernière, nous avions dû nous faire inviter dans les délégations de syndicats seniors acceptant notre présence, rendant ainsi instable notre autonomie vis-à-vis des autres syndicats.

Cette position de membre observateur officiel était une revendication de l’ISNAR-IMG depuis plusieurs années de manière à surveiller l’arrivée de mesures coercitives à l’installation par le biais de la Convention.

C’est la Ministre de la Santé en personne qui a demandé au directeur de l’UNCAM, organisateur des négociations, de nous inviter aux discussions.

Il semble étonnant de partir en grève pour obtenir une position de signataire pour plusieurs raisons :

– nous sommes observateurs de la convention pour la première fois cette année, ce qui était une réponse positive du nouveau gouvernement suite à une demande de l‘ISNAR-IMG ;
– cette revendication n’avait jamais été formulée clairement au Ministère avant cette grève. Une grève semble donc une solution radicale pour aborder ce sujet pour la première fois ;
– les patients ne sont même pas observateurs des négociations, ils y auraient sans doute leur place aussi.

Lors de cette réunion du 7 novembre, la Ministre nous a explicité son souhait de repenser complètement le processus conventionnel. Plutôt que de se limiter à l’inclusion d’un acteur supplémentaire (les structures représentatives des futurs praticiens), il faut le reconstruire dans un contexte de démocratie sanitaire.

Elle a missionné l’IGAS pour évaluer et proposer une rénovation de la politique conventionnelle.

b) L’avenant 8

Pour les explications des tenants et aboutissants de l’avenant 8, je vous renvoie vers le courrier reçu le 25 octobre.

Dans un premier temps, il faut déterminer ce que l’on reproche à l’avenant 8.

Si on écoute l’ISNCCA, il y aurait des mesures anti-jeunes dans le contrat d’accès aux soins. En clair, pour un nouvel installé, le dépassement moyen l’autorisant à signer le contrat d’accès aux soins, serait le dépassement des médecins de sa spécialité dans sa région. Ce qui pourrait nuire à l’installation de médecin en centre ville pour peu que le dépassement nécessaire y soit supérieur au dépassement moyen dans la région. D’un autre côté, signer le contrat d’accès aux soins n’est pas une obligation et l’installation en secteur 2 telle qu’elle existe aujourd’hui sera toujours possible demain.

Si on suit le BLOC, la FMF et l’ISNCCA, le deuxième problème est la création d’un seuil à 150 % de dépassement (soit une consultation à 250 % de son prix conventionné). D’après eux, ce seuil ne rendrait pas possible l’activité de certaines spécialités dans certaines villes. Ceci-dit, les médecins considérés comme faisant des dépassements abusifs passent devant une Commission Paritaire Régionale composée de médecins (50 % issus des syndicats et 50 % issus de la Sécurité Sociale). Il est peu probable que les CPR sanctionnent des médecins pour leurs dépassements si ils ne rentrent même pas dans leur frais, ou même s’ils ont un revenu net avant impôt inférieur à la moyenne des médecins de leur spécialité.

3 : L’implication des mutuelles dans la santé

Ce dossier semble être celui qui inquiète le plus les internes, à la fois à tort et à raison.

La crainte que nous avons tous, c’est l’augmentation de la prise en charge des dépenses de santé par les mutuelles, et donc un désinvestissement de la Sécurité Sociale. Vous entendez d’ailleurs souvent parler de dérives « à l’américaine » ou « à l’anglaise » avec la possibilité de développer des réseaux de soins avec des remboursements du patient qui se feraient en fonction de la convention signée entre le médecin et la mutuelle.

Ce cas de figure peut-il se présenter en France?

A l’heure actuelle, non. D’abord, parce que les mutuelles n’ont pas la possibilité d’accepter ou de refuser un patient. Ensuite, parce que 95 % des contrats signés en France aujourd’hui sont dits « responsables », c’est à dire, que les mutuelles sont dans l’obligation de rembourser le ticket modérateur, et donc toute consultation réalisée par un médecin exerçant en secteur 1.

Cependant, l’ISNAR-IMG n’est pas experte sur le sujet et nous devons tous faire preuve de précautions pour assurer le juste remboursement à nos patients des soins que nous leur prodiguons.

C’est pourquoi l’ISNAR-IMG a fait appel à des experts en économie de la santé ainsi qu’à des membres du HCAAM. Nous avons fait part au gouvernement de notre méfiance vis à vis des mutuelles, notamment dans le contexte de la proposition de loi 296 (en annexe). Le Ministère nous a informé que le HCAAM rédigeait en ce moment même les garde-fous pour prévenir toute dérive, et que le gouvernement déposerait un amendement à cette proposition de loi assurant le double volontariat des patients et des médecins.

4 : Le maintien de la liberté d’installation

Profitant du vote du PLFSS 2013, de nombreux Députés et Sénateurs ont proposé des amendements ouvertement coercitifs. Aucun d’entre eux n’est menaçant à l’heure actuelle. La majorité de ces propositions émanant d’élus PS, ils sont vite recadrés par le gouvernement, à l’instar de Monsieur le député BUY.

Si d’aventure une de ces initiatives venait à prendre de l’importance, vous en seriez informés immédiatement, en même temps que des actions engagées pour la contrer.

5 : Les conditions de formation

Est-ce vraiment le moment de manifester pour les conditions de formation des internes ?

Les moyens d’expression à ce sujet sont multiples, nous avons d’ailleurs écrit une lettre ouverte aux Députés et Sénateurs (en annexe) avec l’ANEMF, ReAGJIR, le CMG, le CNGE et le SNEMG pour les alerter sur les conditions de formation des internes de médecine générale, et avons bénéficié d’un bon accueil parmi eux.

Nous avons notamment reçu l’assurance que la question de l’amélioration de la Filière Universitaire de Médecine Générale serait posée en séance à l’Assemblée Nationale.

II – La perception de cette grève, vue de l’extérieur

 

Quels sont les retours de ce mouvement social, comment les patients et la population générale l’ont-ils perçu ?

Les journalistes à qui nous avons parlé ont bien du mal à s’y repérer. Soit ils parlent des internes qui manifestent contre l’encadrement des dépassements d’honoraires, soit ils me demandent de prendre cinq minutes pour réexpliquer les revendications.

Une chose est sure, les patients n’y comprennent rien.

III – Le statut de l’interne gréviste

 

Que les internes de médecine générale se rassurent, ils peuvent partir en grève individuellement sans risquer un abandon de poste.

En effet, l’ISNIH et l’ISNAR-IMG sont tous deux représentatifs des internes indépendamment de leur spécialité. Les internes de médecine générale adhérents à l’ISNAR-IMG, ou n’adhérant à aucune structure, mais désireux de partir en grève sont donc couverts.

Il vous est cependant indispensable d’alerter les affaires médicales de votre hôpital de référence (CHU pour les stages ambulatoires).

IV – Le travail de l’ISNAR-IMG avec les institutions

 

Le travail avec le Ministère ne s’arrêtant pas aux motifs de la grève, voici un petit résumé des travaux annexes en cours.

Nous avons récemment repris les discussions autour du guichet unique, actuellement nommé PAPS, l’objectif étant de poursuivre le chantier initié par le gouvernement précédent. A l’heure actuelle, les PAPS sont des sites internet sans réels liens dynamiques : on est loin du guichet regroupant l’ensemble des interlocuteurs des professionnels de santé : Conseils ordinaux, URSSAF, CARMF, CPAM

En parallèle, nous travaillons également au développement des stages ambulatoires de façon à assurer à tout interne inscrit en DES de médecine générale de pouvoir en faire au moins deux, mais aussi en permettre l’accès aux internes des autres spécialités.

Depuis son lancement début septembre, nous participons aux travaux du Pacte de confiance pour l’hôpital.

Concernant le Sénat, nous avons été auditionnés par le groupe de travail élaborant une proposition sur l’accès aux soins. Ils ont été particulièrement intéressés par les chiffres de l’enquête de 2011 de l’ISNAR-IMG sur les souhaits d’exercice des internes de médecine générale. Les mesures coercitives n’ont été abordées que pour en afficher les effets contre-productifs.

Enfin, nous continuons aussi le travail avec l’Assemblée Nationale conjointement aux autres structures motrices de la Filière Universitaire de Médecine Générale dont nous avons parlé précédemment.

Cordialement,

Pour le Bureau de l’ISNAR-IMG,
Emmanuel BAGOURD, Président.